Elle est arrivée toute petite, toute menue
Elle est arrivée toute petite, toute menue, toute transie, toute apeurée.
Juin 1939, quel jour ? comment le savoir quand on fuit sa maison, ses ruelles, son village, ses amies, comment le savoir, quand, avec des centaines de milliers d'autres, toi qui te pensais seule, tu as rejoint les files effrayées sur les routes bombardées par les avions allemands, quant tu as monté, descendu, les pentes enneigées des Pyrénées, comment le savoir ?
Ton grand frère, resté là-bas, pourquoi ? Comment l'aurais-tu su ? Toi et tes minuscules presque 5 ans, comment aurais-tu su que tu ne reviendrais pas ? Qu'à jamais ce pays ne serait plus que le rêve d'être ton pays ?
Ta mère est devant toi, vos quelques biens dans un balluchon sur la tête, tu marches très sérieusement comme une grande, que tu n'es pas, parfois c'est le silence qui résonne dans les neiges des branches, dans l'écho des milliers des pas des réfugiés qu'ils vont devenir, parfois, un chœur de voix qui se raccrochent aux rythme des souvenirs. Pieds, mains bleues de froid, de chagrin. Brume des respirations.
Ton frère, tu ne le reverras que douze ans plus tard. Tu as pleuré, beaucoup pleuré. Il t'a pris dans ses bras, il t'a serré très fort. Personne ne t'avait entourée de ses bras comme lui et d'un coup tu as senti le manque qui s'agrippera à ta vie tout le temps, cette absence dans laquelle tu ne peux pas poser de mots, d'images, de sons, de visages, de paysages.
Février 1939, la frontière du Perthus est enfin ouverte, une procession de familles hagardes, des hommes sommés de rendre leurs armes, la liberté enfouie dans leurs rêves, des gendarmes te poussent sans ménagement, tu trottines, un gendarme au visage tout noir t'effraie, ton père est emmené avec d'autres hommes, comment aurais-tu pu savoir, qu'ils s'endormiront dans des trous fait dans le sable contre le vent, comment aurais-tu pu savoir qu'un cimetière espagnol, un jour, honorerait les morts de froid, de maladie, de désespoir ? Comment aurais-tu pu savoir que ton père, évadé de ce camp d'Argelés, baraques construites des mains des réfugiés, ne t'embrasserait plus jamais, qu'il s'engagerait dans la résistance française, ne reviendrait pas du camp de concentration allemand, qu'il n'y aurait jamais de sépulture, que tu ne connaîtrais pas son visage.
A Millau, la ville où tu poseras ta vie, en réponse au Comité Local d'Aide aux réfugiés espagnols, qui indiquait le 14 janvier 1939 « … dans le compte-rendu de la séance du Conseil Municipal du 23 décembre, que celui-ci émet le vœu : « … que les réfugiés espagnols et les volontaires des Brigades Internationales soient dirigés vers une autre localité ... » ce qui laisse à supposer qu'ils sont considérés par nos édiles comme indésirables. », André Barbot écrivait « Répétons la Municipalité a ses pauvres qui grèvent déjà lourdement son budget, si elle pouvait étendre sa charité, ou plutôt sa sollicitude , ce sont eux, que nous connaissons bien, qui devraient d'abord bénéficier de ce supplément d'efforts ; car nos malheureux compatriotes sont loin d'être aussi bien traités que nos hôtes espagnols ».
Tout s’efface. On t'a dit, des années plus tard, qu'on vous avait transportés dans plusieurs trains puis une camionnette et une marche dans la neige encore, cette neige qui, en temps de paix, aurait fait ton émerveillement d'enfant que tu étais et qui n'en avait jamais vue, pour arriver dans le département de la Lozère, au camp de concentration de Rieucros. Un jour, tu liras, que c'était le premier camp construit en France. Tu découvres des femmes étranges, on t'a dit des années plus tard, ou le savais-tu déjà, tout s'efface, que ces femmes fortes et généreuses, aux parlers différents du tien, tchèque, italien, polonais, allemand, français, ces femmes, jeunes et âgées, tous les âges, étaient l'anti France de Pétain, les indésirables. Et tu faisais partie de ceux-là.
de Millau.
(...)
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